QU’EST-CE QUE LA DYSMORPHOPHOBIE ?

À l'ère des réseaux sociaux, sorte d'amplificateur narcissique qui pose les jalons du culte de l'apparence, un mal-être sévit : la dysmorphophobie.

Vous regarder dans le miroir est un calvaire : que cela soit vos hanches, vos boutons ou la forme insolite de votre orteil gauche, rien ne vous plaît dans votre apparence. En conséquence, vos pensées portent sur le jugement systématique de votre corps que vous avez peur d'exposer aux regards inquisiteurs. Loin de présenter des difformités qui feraient de vous un monstre, cette manière préoccupante de s'imaginer un ou plusieurs défauts physiques en réalité minimes, porte un nom : la dysmorphophobie.

Saviez-vous que ce trouble peut même rester non diagnostiqué pendant plusieurs années, soit par honte, soit parce que la personne concernée croit sincèrement qu’elle est laide ? Le Manuel MSD relate une véritable souffrance dans la vie quotidienne liée à l'estime de son apparence physique, cela concernant "en général le visage ou la tête", mais pouvant aussi "impliquer une ou plusieurs parties du corps". En outre, le trouble se distingue des "préoccupations normales liées à l’aspect physique ou à de la vanité".

Si l’inquiétude requiert beaucoup de temps pour une personne souffrant de dysmorphophobie, perturbant considérablement son fonctionnement, elle peut aussi conduire à l'isolement social, voire devenir invalidante dans sa forme de détresse la plus sévère. Touchées par la dépression, "près de 80 % des personnes atteintes de dysmorphophobie ont des pensées suicidaires, et 25 % à 30 % d’entre elles tentent de se suicider", développe le MSD.

Qui souffre de dysmorphophobie ?

Ces symptômes de mésestime de soi incontrôlables se traduisent notamment par l'obsession du regard des autres, l'obsession du miroir ou au contraire son évitement. Leur manifestation quotidienne implique une volonté de changer d'apparence, autrement dit le temps consacré à la mise en beauté prend des proportions excessives, rien n'étant plus important que de camoufler ou d'éliminer les imperfections (de la peau par exemple). La plupart "ont recours à un traitement médical cosmétique (le plus souvent dermatologique), dentaire ou chirurgical, parfois à plusieurs reprises, afin de corriger le défaut perçu", précise le MSD, qui classe la dysmorphophobie dans la catégorie des troubles obsessionnels compulsifs (TOC).

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Et si j'ai vraiment un défaut physique ? Pour la fondation internationale OCD, dont la mission est de venir en aide aux individus touchés par un TOC, une personne "ayant des défauts d'apparence qui sont clairement évidents pour les autres à distance conversationnelle" reçoit un diagnostic différent, "appelé autre trouble obsessionnel compulsif spécifié et apparenté".

Un trouble du comportement alimentaire est détecté chez les patients dont les obsessions sont liées au poids et que leur rapport à la nourriture est jugé anormal, tombant dans le cercle vicieux de l'anorexie-boulimie. Également différenciés, les cas de dysphories de genre, dont les symptômes portent sur l’apparence de ses caractères sexuels physiques, traduisent une détresse chez les personnes transgenres. Pour établir un diagnostic de dysmorphophobie, un professionnel de la santé mentale se basera ainsi sur les symptômes suivants :

  • La préoccupation d'un ou de plusieurs défauts d’apparence, concernant le visage ou le corps, que les autres ne remarquent pas.
  • Des comportements excessifs et répétitifs provoqués par un souci démesuré de son apparence, comme le fait de se regarder dans la glace.
  • L'apparition d'une angoisse profonde qui peut entraîner des dysfonctionnements dans toute situation de la vie du patient.

Dysmorphophobie : les selfies en cause ?

"Entre 1 et 2 % des adolescentes et des jeunes femmes souffriraient de dysmorphophobie", énonce un article de la Mutuelle générale qui se réfère au DSM-5, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Comme David qui, du haut de ses 14 ans, est naturellement préoccupé par son image corporelle, des milliers de jeunes adultes se construisent en scrollant les photos irréelles de corps parfaits via les réseaux sociaux.

À un âge où l'on essaie de trouver sa place en se comparant, cette habitude n'est pas si anodine. D'après un rapport réalisé par la marque Dove dans le cadre de la campagne "Cost of beauty", 3 enfants sur 5 ont leur santé mentale affectée par ce qu’ils voient sur les réseaux sociaux, entre autres des contenus qui établissent de manière sous-jacente un standard de beauté. Quand le simple complexe généré par un mécanisme de comparaison devient obsessionnel, il cause anxiété et dépression. Mais pour la psychanalyste Cristina Lindenmeyen, interrogée dans un article NEON, cette peur maladive "peut s’y révéler, mais pas y être créé", le trouble étant "présent bien avant tout ça".

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Outre les sollicitations permanentes et les injonctions contradictoires entre "body shaming" et "body positive", l'omniprésence des filtres sur les réseaux sociaux, permettant de modifier à sa guise son visage et son corps, alerte les spécialistes de la santé mentale. À ce titre, des recommandations de la Mental Health Foundation ont été émises pour mieux contrôler l'utilisation des applications d'édition photo. À la longue, cette distorsion de la réalité dénature la perception que l'on a de son image, jusqu'à être insatisfait de son corps et ne plus pouvoir se passer d'une couche superficielle de filtre. Et parfois cela prend des proportions invraisemblables, comme l'illustre parfaitement le recours massif à la chirurgie esthétique pour ressembler à son selfie Snapchat, évoqué dans nos colonnes.

Y a-t-il un traitement pour la dysmorphophobie ?

Si, ces dernières années, le terme a gagné en visibilité, notamment grâce à la prise de parole de stars comme l'actrice américaine Lili Reinhardt, la dysmorphophobie est toutefois encore mal comprise. Le diagnostic de ce trouble psychique n'est pas définitif, chez certains patients l'anxiété pouvant se manifester de manière insidieuse et progressive, alors que chez d'autres patients les symptômes peuvent apparaître soudainement. Mais il s'agit de manière générale de moments de transition comme lors de la puberté, explique la psychanalyste Cristina Lindenmeyer.

Un travail d'analyse avec un psychologue permet de remonter à l'origine de sa dysmorphophobie, tandis qu'un traitement superficiel n'aura de conséquences que sur le porte-monnaie. S'atteler à la tâche illusoire de supprimer ses défauts comme des imperfections de la peau, ne fait que déplacer la souffrance sur une autre zone du corps, mais ne résout pas le mal-être.

Le traitement par thérapie comportementale et cognitive peut également s'avérer efficace selon le MSD pour ce type de troubles. Grâce à cette thérapie, les professionnels de la santé peuvent aider leurs patients "à développer des convictions utiles et plus axées sur la réalité de leur apparence physique". Dans certains cas plus graves, l'usage d'antidépresseurs est préconisé.

Par ailleurs, le patient atteint de dysmorphophobie aura tendance à penser qu'il a un problème d'apparence corporelle, plutôt qu'un problème d'image, ne laissant pas facilement un allié extérieur lui venir en aide, bien que parfois conscient de son anxiété. Dans ce cas, le médecin, le psychologue ou les proches peuvent faire appel à des "techniques de motivation" dans le but d'inciter la personne à participer au traitement.

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