Le salut de Hollywood, dans sa marche forcée vers l'utilisation à grande échelle de l'intelligence artificielle pour produire toujours plus de films et de séries à moindre coût, se trouvera-t-il avec l'implication physique (et excessive) de ses plus grandes stars ? Quelques semaines après la sortie de Mission : Impossible - The Final Reckoning, huitième opus des aventures de Tom Cruise et de son alter ego Ethan Hunt aux allures d'étourdissant show circassien, c'est au tour de Brad Pitt de montrer que lui aussi, superstar sexagénaire américaine, peut mettre les mains dans le cambouis avec un blockbuster taillé à sa démesure.
Ainsi est né F1, blockbuster à plus de 200 millions de dollars mené par l'acteur et sa société Plan B, le producteur vétéran Jerry Bruckheimer et le septuple champion du monde de Formule 1 Lewis Hamilton. On pouvait a priori craindre une opération marketing hors norme diffusée en IMAX. D'autant plus que le film, réalisé par l'expérimenté Joseph Kosinski (à qui l'on devait Tron : L'héritage et, surtout, le triomphe Top Gun : Maverick), arrive à un moment fatidique pour le championnat automobile. La série documentaire Netflix, Drive to Survive, a grandement contribué à étendre son rayonnement international, notamment aux États-Unis où la NASCAR a longtemps eu le monopole du cœur des aficionados de bolides surpuissants.
Assumant clairement sa part de fiction tout en bénéficiant d'un accès inédit aux outils de ce milieu (et à ses représentants, les pilotes, qui y font tous au moins une brève apparition), le film de Joseph Kosinski raconte l'histoire de Sonny Hayes, un pilote incarné par Brad Pitt qui, après une aventure en F1 dans les années 90 qui s'est soldée par une catastrophe, a choisi de mener une carrière en indépendant, venant au secours de diverses équipes — la première séquence, dopée au son de “Whole Lotta Love” de Led Zeppelin, se déroule par exemple lors des 24 Heures de Daytona en Floride. Lorsque Ruben Cervantes, un propriétaire d'écurie aux abois campé par Javier Bardem, lui propose de le rejoindre en tant que second pilote aux côtés d'un jeune prodige impétueux (Joshua Pearce, joué par Damson Idris), Sonny profite de l'opportunité et entame sa nouvelle mission : offrir à APXGP sa première victoire en F1.
Plus ou moins calqué sur les enjeux et rivalités de Top Gun : Maverick, avec la sempiternelle opposition entre vieux briscards arrogants et jeunes requins prêts à tout pour leur triomphe personnel, F1 ne masque pas son ambition de refaire un blockbuster dans l'esprit et l'énergie de ceux qui étaient produits dans les années 90, à l'image de l'emblématique Jours de Tonnerre avec Tom Cruise et Nicole Kidman — dont Jerry Bruckheimer était déjà producteur. Mêlant séquences de course virtuoses, filmées lors de vrais Grands Prix avec une multitude d'angles de vue pour renforcer la sensation d'immersion (sur la piste au milieu du chaos de la course, à l'intérieur des bagnoles ou même collé aux casques grâce à un nouveau système de caméras créé pour les besoins du film), et clashs entre égos surdimensionnés dans le secret des stands, le film déroule le programme classique du film de sport qui se veut à la fois frénétique et riche en enseignements moraux.
Même si le film a souvent les yeux rivés sur le grand spectacle (sa durée, deux heures et demie, l'y oblige), F1 n'en oublie pas d'évoquer certaines des problématiques actuelles du sport automobile, notamment la casquette de communicants que les pilotes doivent désormais endosser. Un exercice que Joshua Pearce, athlète biberonné à l'hypocrisie des réseaux sociaux, maîtrise à la perfection, toujours prêt à décocher un sourire aux photographes pour les joies du divertissement, même au sortir d'une défaite cuisante sur la piste. Plus à l'aise sur l'asphalte, le hagard Sonny Hayes préfère botter en touche quand on lui pose des questions sur les répercussions de son premier échec en Formule 1 — un écho plus qu'évident au parcours personnel de Brad Pitt, dont les cahots de sa vie privée ont régulièrement fait les choux gras de la presse outre-Atlantique.
Construire un récit commun, dans lequel les deux pilotes puissent se retrouver et triompher ensemble, constitue le deuxième acte du récit, plus emballant. Cherchant à (littéralement) faire exploser la mécanique éculée du film de course, F1 se détourne à un moment de l'exploration lisse de son petit monde pour favoriser l'action. En résultent des séquences totalement invraisemblables mais réjouissantes où tous les coups sont permis pour gravir le classement des pilotes. Certains des choix narratifs faits par Joseph Kosinski et le scénariste Ehren Kruger pourront paraître aberrants auprès des disciples les plus fidèles de la Formule 1 — de quoi donner envie de brûler le règlement de la FIA ! —, ce sont aussi ceux qui permettent à la fiction de vraiment s'affirmer comme tel et de faire surgir une petite étincelle chez le spectateur, même le plus novice en matière de courses automobiles.
C'est lorsque le scénario devient un peu absurde que la mise en scène de Joseph Kosinski s'échauffe le plus et donne à voir la vraie nature du spectacle de la Formule 1 : un jeu d'équilibriste où chaque pilote cherche son point de rupture, organise le chaos au risque de le voir filer entre les gants. Sur le plan purement technique, F1 est une prouesse incontestable. Chef opérateur de tous les longs-métrages du réalisateur, Claudio Miranda apporte aux images du film une clarté éblouissante qui permet lors des scènes de course d'apprécier au mieux la puissance des bolides et la complexité de leurs trajectoires sur des pistes qui semblent de plus en plus étroites à mesure que les difficultés s'accumulent.
Cette fluidité de mouvements, dont il est fréquemment question dans les dialogues entre les personnages, se retrouve parfaitement à l'écran et donne au film ce charme aérien égaré dans les blockbusters contemporains. Celui d'un cinéma guidé par rien d'autre qu'une recherche de vibrations, pleinement focalisé sur le corps de sa star, tremblant et valdinguant à l'intérieur d'un cockpit qui, au mieux, lui fait survoler la piste comme dans un avion et, au pire, menace de l'enfermer dans un cercueil doré.
F1 le film n'a peut-être pas la beauté nostalgique que pouvait avoir un Top Gun : Maverick ou, si on le compare à un autre film de course, la fureur obsessionnelle du Rush de Ron Howard, mais parvient à ressaisir une inconscience qui fait plus que défaut au cinéma hollywoodien d'aujourd'hui, un goût de l'extravagance racoleuse délaissée au profit de récits sursignifiants ou à teneur “mythologique”. Un spectacle qui ne vise pas autre chose que cela, dont l'existence même se justifie dans une jouissance éphémère, évanouie à peine franchie la ligne d'arrivée. Un film qui ressemble précisément à son sport.
F1, un film réalisé par Joseph Kosinski, avec Brad Pitt, Javier Bardem, Damson Idris et Kerry Condon, 2h35. À découvrir au cinéma à partir du 25 juin.