« LE SEUL MOYEN DE SAUVER LA PLANèTE, C’EST DE PLANTER DES ARBRES », LANCE SEBASTIãO SALGADO

Avec son exposition « Amazônia », le célèbre photographe brésilien est à l’affiche du festival photo de La Gacilly (Morbihan) qui s’est ouvert vendredi

INTERVIEW - Avec son exposition « Amazônia », le célèbre photographe brésilien est à l’affiche du festival photo de La Gacilly (Morbihan) qui s’est ouvert vendredi

Ses photos en noir et blanc ont fait le tour du monde. Parmi les photographes les plus renommés de la planète, Sebastião Salgado est à l’honneur du festival photo de La Gacilly (Morbihan) qui s’est ouvert vendredi et célèbre cette année son 20e anniversaire. Photographe humaniste et voyageur infatigable, l’artiste brésilien vient présenter son dernier travail, Amazônia, une ode à ce paradis vert menacé par la déforestation qu’est l’Amazonie. Il revient pour 20 Minutes sur ce projet au long cours et confie ses craintes sur l’état de notre planète.

Cette exposition sonne comme une lettre d’amour à l’Amazonie ?

C’est vrai. J’ai déjà évoqué la destruction de la forêt dans l’exposition Blessure qui a été présentée à l’Espace Frans Krajcberg à Paris. Là, j’ai pris le parti de parler des 82 % de l’Amazonie qu’il reste, cet espace incroyable qui est un véritable paradis sur terre. J’ai passé pour cela près de sept ans au cœur de la forêt, le plus souvent avec ma femme qui m’accompagnait lors des 58 voyages que j’ai réalisés sur place. C’est sublime et d’une immensité presque infinie. Il faut imaginer que la partie brésilienne de l’Amazonie, c’est huit fois la taille de la France, qui est pourtant le plus grand pays d’Europe [de l’UE]. Et c’est un territoire pur où il n’y a pas de maladie. Tu peux boire sans crainte l’eau des rivières. Les Indiens ont d’ailleurs une santé de fer car ils vivent en harmonie avec cette nature.

Qu’est-ce qui fascine le plus quand on pénètre dans ce poumon vert ?

Tout fascine dans l’Amazonie. Son fleuve, ses arbres, sa biodiversité… Mais surtout les peuples indigènes, ces tribus incroyables qui ont chacune des langues, des cultures et des croyances différentes. L’Amazonie est d’une incroyable diversité culturelle. Il y a beaucoup de fantasmes ou d’idées reçues autour de ces tribus. Comme quoi elles sont violentes ou attaquent les bateaux comme on le voit dans certains films. Mais c’est un mensonge ! Ces tribus qui vivent au cœur de la forêt sont d’une douceur, c’était un plaisir de vivre et de travailler avec elles. Les tribus les plus violentes sont celles qui sont le plus en contact avec le monde extérieur qui est dur comme on le sait.

Vous parlez d’un paradis mais ce paradis et ces peuples qui y vivent sont quand même menacés ?

C’est le résultat de notre société de consommation. Et notamment de la pression mise par les Européens avec cet accord commercial avec les pays du Mercosur pour fournir des produits agricoles bon marché. On va livrer du soja pour faire grossir les vaches et les cochons en France. Et pour cela, on abat l’Amazonie pour en faire des terres agricoles pour produire toujours plus. Même si le gouvernement Lula est contre, le lobby de l’agrobusiness est très puissant au Sénat et à la Chambre des Députés. Ces gars-là sont corrompus mais c’est tout le système qui est corrompu. Ce ne sont pas les Brésiliens qui détruisent l’Amazonie mais notre société de consommation sans limite. L’Amazonie appartient aux Brésiliens, d’un point de vue géographique déjà, mais c’est un bien dont toute l’humanité dépend pour sa survie. Il faut donc que tout le monde prenne conscience de cela pour faire pression sur cette classe dominante qui est en quête de profits immédiats et qui s’en fiche du reste de la planète.

Vous ne devez donc pas regretter Jair Bolsonaro et sa politique destructrice de l’Amazonie ?

Non bien sûr. C’est un connard, un énorme connard ! C’est un homme violent qui n’a pas seulement détruit l’Amazonie et les communautés indigènes. Il a tenu des positions horribles contre les femmes, il a fait rentrer des millions d’armes et a fait du Brésil le deuxième pays le plus endeuillé au monde par la pandémie de Covid-19. Il ne mérite aucune considération. Mais le Brésil n’est pas un cas isolé, l’extrême droite est déjà au pouvoir dans de nombreux pays. Et si on fait les cons dans quatre ans, ce sera pareil en France. C’est terrible…

A travers vos photos, vous considérez-vous comme un lanceur d’alerte ?

Non, je suis simplement un photographe. Certaines de mes photos, comme celles que j’ai faites en Amazonie, peuvent parfois lancer des alertes mais je ne suis pas un lanceur d’alerte. Il y a certainement un message politique dans mes photos car je suis une personne de gauche et la photographie n’est pas objective. Mes photos représentent donc un certain point de vue. Mais je n’ai pas la prétention d’être un guide en quoi que ce soit ni un militant.

Vous vous êtes pourtant engagé en faveur de la reforestation au Brésil à travers l’Instituto Terra que vous avez créé avec votre épouse il y a 25 ans ?

C’est devenu un projet environnemental très important au Brésil mais je ne me considère pas pour autant comme un militant. Ce projet est né quand mes parents m’ont transmis la ferme familiale qui se trouve dans l’état du Minas Gerais. C’était un moment assez difficile dans ma vie car je venais juste de couvrir le génocide rwandais. Je voulais tout abandonner pour devenir paysan. Quand je suis arrivé sur place, j’ai découvert une terre fatiguée et complètement détruite. On a donc décidé avec ma femme de faire renaître cette forêt qui avait été détruite. On en est aujourd’hui à près de trois millions d’arbres plantés.

Planter pour sauver la planète, c’est ça le message ?

Exactement. Il faut planter des arbres et reconstituer les forêts, voilà l’urgence ! C’est la seule solution pour sauver notre planète. L’arbre est le seul être vivant sur Terre qui absorbe du carbone et rejette de l’oxygène. On a donc là une solution pour faire face au réchauffement climatique et aux problèmes d’eau. Sans compter la biodiversité qu’il faut reconstruire. L’argent mis sur la table lors de ces grands rassemblements comme la COP devrait donc servir à la plantation d’arbres partout sur la planète.

Restez-vous malgré tout optimiste sur l’état de notre planète ?

Malheureusement non. Je suis très pessimiste et tout le monde doit l’être nécessairement. Car on va tout droit dans le mur et on ne trouve aucune solution. On nous parle à chaque fois d’accords lors de ces COP. Mais depuis tout ce temps, on n’a pas progressé et on perd chaque jour des arbres.

2023-06-03T07:00:07Z dg43tfdfdgfd