JUSQU’Où IRA LE GROUPE LIOT, EMPêCHEUR DE TOURNER EN ROND ?

POLITIQUE - En privé, comme souvent, François Hollande sourit : « C’est l’appel du 8 juin ». Il faut dire que la date d’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi Liot pour abroger le recul de l’âge légal à 64 ans agite depuis plus d’un mois le landernau politique et tous ceux - nombreux - qui suivent de près le parcours du combattant de la réforme des retraites.

Après la bataille de la rue, le combat du Parlement et le suspense des Sages, voici la Saison 4, celle des derniers recours.

Elle a commencé par un épisode magistral de retournement parlementaire. En commission des affaires sociales, mercredi 31 mai, la majorité a réussi, dans des conditions ubuesques, à supprimer l’article 1 de la proposition de loi (qui visait à revenir sur l’âge de départ à 64 ans) pour que Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, puisse le déclarer irrecevable quand il reviendra par voie d’amendement dans l’hémicycle, le 8 juin. Une tambouille qui n’est pas terminée et qui devrait faire capoter l’initiative de Liot, mais qui place une nouvelle fois ce petit groupe d’une vingtaine de députés au centre du jeu.

« On a même fait manifester Bertrand Pancher ! »

Au point de faire s’aligner sur leur agenda celui de l’intersyndicale qui a organisé sa 14e journée de mobilisation le 6 juin, soit deux jours avant, pour ajouter la pression de la rue à ce moment symbolique à l’Assemblée. « On a même fait manifester Bertrand Pancher ! », se gargarise l’aile gauche de ce petit groupe hétéroclite. A 64 ans, le président du groupe, pur produit de l’ancien monde, a battu le pavé pour la première fois de sa vie à Paris, « avec une dizaine de députés » Liot contre la réforme des retraites.

Conseiller de Gérard Longuet alors ministre de Jacques Chirac, ce catholique pratiquant fréquente la messe des parlementaires le mercredi à 8h en la chapelle Sainte-Clotilde, à deux pas du Palais-Bourbon, pour pouvoir remplir ses obligations sur le terrain le dimanche. Proche de Jean-Louis Borloo et longtemps au parti radical comme lui, il a même récidivé pour une seconde manif’, chez lui, dans la Meuse. Tout arrive.

Lointain héritier des éphémères groupes centristes Libertés et territoires (créé en 2018, critique envers la Macronie, déjà dirigé par Pancher) et Les Constructifs, né en 2017, dirigé alors par l’actuel ministre des Relations avec le Parlement, Franck Riester, ce groupe pivot, « résurgence de la IVe République due à la majorité relative », comme aime à le définir le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, est un attelage composite.

« Ils ont de telles divergences idéologiques que je ne sais même pas ce qu’ils pensent du fond de la réforme. » Un proche du ministre des Relations avec le Parlement.

Trois députés corses, cinq ultramarins, des anciens LR comme Pierre Morel-à-l’-Huissier ou Jean-Luc Warsmann, des centristes venus de l’UDI, le régionaliste breton Paul Molac et les anti-Nupes du Parti socialiste - au nombre de cinq - comme la candidate victorieuse en Ariège contre LFI, Martine Froger qui a trouvé refuge chez eux au mois de mai ou l’ancien premier fédéral PS du Nord, Benjamin Saint-Huile. « Ils ont de telles divergences idéologiques que je ne sais même pas ce qu’ils pensent du fond de la réforme », commente en soupirant l’entourage de Franck Riester, ministre des relations avec le parlement.

Un mélange qui ressemble à un renouveau du « en même temps » macronien, tout en revendiquant une bonne partie des attributs de l’ancien monde, un paradoxe. Leur point commun : la liberté, surtout de vote (le L de Liot), l’indépendance (le I), les Outre-mer (le O), et les territoires (le T). « On défend l’intérêt général », résume Laurent Panifous, député de l’Ariège, toujours au PS, ancien maire d’une commune rurale de 1000 habitants et directeur d’Ehpad. « La qualité de ce groupe, c’est qu’on sait qu’on est différents. On est d’accord sur nos désaccords », approuve son collègue Jean-Louis Bricout, qui a siégé dix ans au groupe socialiste, avant de rejoindre Liot et de quitter son parti.

Les nouvelles coqueluches de l’opposition

Après les législatives 2022, ces élus non inscrits de gauche se cherchaient un groupe qui ne soit pas dans la Nupes. Ils ont tenté d’en créer un avec les socio-démocrates, comme Olivier Falorni et une partie de l’aile gauche de la Macronie, sans succès. Ils ont rejoint Liot, où la liberté de vote est totale et les prises de positions individuelles sont respectées pour « peser, avoir du temps de parole et apprendre les rouages du Parlement », assume Benjamin Saint-Huile, 40 ans, ancien maire et néo-député.

S’ils pensaient sincèrement, disent-ils, pouvoir travailler avec la majorité « texte par texte », c’est l’obstination du gouvernement sur la réforme des retraites et « le manque d’écoute » qui les auraient conduits à prendre la tête de la fronde.

« Certains députés veulent prendre la lumière et ne reculent devant rien. » Élisabeth Borne, Première ministre dans Ouest-France.

Sans compter leur fine connaissance des arcanes parlementaires et un positionnement centriste d’ordinaire vigilant sur les finances publiques qui accrédite l’idée d’un entêtement gouvernemental. « Nous sommes tous des élus locaux, bâtir des compromis, on sait faire. La Macronie, elle, s’entête et fait comme si elle était majoritaire. Ça ne peut plus durer », développe Laurent Panifous. Ils sont devenus les nouvelles coqueluches, salués sur les bancs des oppositions, la gauche en tête. « C’est un groupe pas idiot et utile », loue l’insoumis Alexis Corbière. Dans l’hémicycle, ils sont situés tout en bas, entre LR, le RN et le gouvernement, mais n’hésitent jamais à traverser pour aller discuter avec la gauche, insoumis compris.

« Charles de Courson se transforme en Che Guevara ! », « Ce sont des populistes ! », « C’est une manœuvre dangereuse », peut-on entendre parmi les critiques de la majorité. De la patronne des députés Renaissance, Aurore Bergé, mercredi en commission - « Que s’est il passé pour que l’inoxydable Don Quichotte de nos finances publiques (Charles de Courson, ndlr) renonce à ce qu’il a toujours défendu ?  » - jusqu’à la Première ministre Élisabeth Borne, le 1er juin dans Ouest France : « Certains députés veulent prendre la lumière et ne reculent devant rien », les attaquent pleuvent.

« CDC » pour mettre Charles de Courson en orbite vers 2027 ?

« Ce gouvernement finira par tomber », répond Charles de Courson sur toutes les ondes, lui qui porte en étendard le vote de son grand-père, seul au sein de son groupe de droite à n’avoir pas voté les pleins pouvoirs à Pétain en 1940, un père résistant et un aïeul qui a voté la mort de Louis XVI. Un CV de révolutionnaire pour un aristocrate qui vit encore dans son château de la Marne et qui se plaît à répéter n’avoir « ni femme, ni maîtresse, seulement la politique ! ».

« C’était le plus sérieux, le plus méticuleux, parfois le plus ennuyeux tant il était consciencieux, de la commission des Finances. Il a fallu cette majorité relative pour qu’arrive la béatification de Charles de Courson », s’amuse François Hollande qui l’a côtoyé quinze ans au Parlement. « CDC », puisque c’est son surnom dans les couloirs, siégeait alors à l’UDF. Il a même eu les honneurs du New York Times au mois de mars. « Après trente ans d’abstinence, goûter enfin aux plaisirs médiatiques, c’est découvrir le ciel… », commente l’ancien Président.

De là à lui prêter des ambitions pour la suite ? « On a le slogan ! », se vante un stratège du groupe qui se démène pour le faire entrer dans les baromètres de personnalités préférées des Français. Charles de Courson, comme tous ceux qui y pensent en secret, ne répond jamais à la question.

Le président du groupe Bertrand Pancher, lui, s’active pour déployer sa nouvelle association politique nommée « Utiles ». Plusieurs comités locaux ont vu le jour dans la Meuse, à la Réunion ou en Guadeloupe. Ils pourraient présenter une liste aux européennes de 2024. Et en 2027 ? « Si la mayonnaise prend, on n’exclut pas d’avoir une position aux européennes et à la présidentielle », concède Olivier Serva, député Liot de la Guadeloupe sur le plateau de Backseat, le 25 mai. « L’avenir de Liot, c’est la France », ajoutait-il pendant le direct.

Dans les commentaires de la vidéo, on pouvait lire : « Charles à la présidentielle ! » ou « Ça me fume, mais Liot essaie de faire ce que la NUPES n’arrive pas à faire ». Dans ce camp-là, on ne s’inquiète pas. Olivier Faure soutient que « ce n’est pas derrière eux que va s’organiser le débat public de ces prochaines années », pendant que son collègue Alexis Corbière conclut, sans animosité : « Je ne pense pas que Liot soit devenue une force structurante de la vie politique française. Charles de Courson, je le regarde comme une curiosité dans un musée parlementaire ».

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